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Channel: vie quotidienne – Mémoires d'Indochine
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Stewart Lone (ed.), Daily lives of civilians in wartime Asia – CR de lecture par Gwendolène Chambon

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Réf. : LONE, Stewart (ed.), Daily lives of civilians in wartime Asia: from the Taiping Rebellion to the Vietnam War, Westport, Conn., Greenwood Press, 2007.

Cet ouvrage intitulé Daily lives of civilians in wartime Asia: from the Taiping Rebellion to the Vietnam War a été publié en 2007 chez Greenwood Press, une maison d’édition basée à Westport dans le Connecticut, spécialisée dans les publications académiques et plus largement à destination de l’enseignement (du primaire au supérieur). L’ouvrage est édité sous la direction de Stewart Lone, professeur d’histoire sociale sur l’Asie de l’Est à l’Université de South West Wales en Australie, et spécialiste du Japon et de la Corée. Cet ouvrage collectif s’insère dans la collection Daily Life through History qui rassemble un certain nombre d’études consacrées à la vie quotidienne durant la guerre.

Quelques titres de la collection “Daily Lives of Civilians in Wartime” chez Greenwood Press.

L’ouvrage apparaît d’abord comme un manuel d’histoire. Il couvre des périodes différentes et des éléments de guerre diverses : colonisation, décolonisation, rébellions ou guerre civile (les belligérants impliquant parfois des puissances occidentales mais pas systématiquement). Il couvre un peu plus d’un siècle de guerres en Asie. Découpé en huit chapitres, traitant chacun d’une période différente, il se veut accessible à tous les publics.

« La guerre est arrivée à la maison »

Dans l’introduction, l’Asie est définie comme comprenant les pays d’Asie du Nord-Est et du Sud-Est, principalement ceux proches de l’influence géographique ou culturelle de la Chine. Sont donc exclus les pays d’influence indienne ou islamique, soit l’Asie du Sud et l’Asie centrale. On peut nuancer cette limitation de l’espace avec la présence d’un chapitre sur l’Indonésie et d’un autre sur les Philippines. Cependant, les auteurs justifient leur position en s’appuyant sur l’importance du commerce maritime de ces pays, longtemps colonisés par des puissances occidentales, avec la Chine.

L’introduction pose ensuite les concepts de « conflits » et de « guerre » dans cette région largement influencée par le confucianisme. Selon  l’auteur, il y a une « résistance intrinsèque à la guerre et aux guerriers » (avec une nuance pour le Japon). Ainsi, entre la prise de pouvoir des Qing en Chine en 1644, qui ont su maintenir un système stable, et l’arrivée des britanniques vers le milieu du XIXe siècle, il n’y a pas de conflits majeurs entre deux pays de l’est de l’Asie 1. Il y a une mise en opposition avec les pays d’Europe de l’Ouest et les États-Unis, où se développe l’idée que la guerre est source de progrès et créativité. Avec l’arrivée des Occidentaux, les sociétés asiatiques auraient été forcées d’altérer leurs valeurs et pratiques, le point de rupture étant la première guerre de l’opium (1839-1842). Avec les Traités inégaux et les colonisations occidentales, il y aurait eu l’établissement d’un nouvel ordre culturel et social.

Cette idée qui prône que ce sont les Occidentaux qui ont amené la culture de la guerre en Asie, nous semble assez critiquable, même si bien sûr, et on va le voir dans les chapitres, ils sont souvent mêlés de près ou de loin aux différents conflits étudiés (belligérants, forces alliées à l’une des parties en guerre).

Cet ouvrage a sans doute vocation à raconter l’histoire autrement, c’est-à-dire à travers le regard des gens ordinaires, les civils, qui ne participent pas directement aux combats, à l’inverse des soldats, mais qui sont nécessairement impactés, d’une manière ou d’une autre par les conflits, et qui sont d’ailleurs souvent ceux qui en souffrent le plus. On se trouve parfois à chemin entre l’histoire sociale et la micro-histoire. Cette approche est intéressante mais se pose évidemment la question des sources et de la méthode pour rendre compte d’un tel point de vue.

« La guerre est arrivée à la maison » : cette phrase indique la nécessaire adaptation de la vie quotidienne des civils pendant ces temps de guerre (se réfugier sous terre, fuir, survivre, résister…), notamment sur les points les plus élémentaires comme la nourriture et l’habillement. Les auteurs analysent et mesurent comment la guerre s’introduit dans la vie quotidienne. Pour ce faire, différents angles d’approche sont valorisés : un point de vu large, un autre centré sur une ville, l’idée étant de restituer une histoire sociale au plus proche des civils dans leur vie quotidienne. L’introduction annonce également l’existence de biais du fait que les auteurs se concentrent surtout sur la vie urbaine, faute de source sur la vie rurale. Il y a donc une part d’ignorance sur le quotidien d’une partie importante des populations étudiées. L’ouvrage est enfin illustré par des cartes et des photographies, comme autant de  témoignages visuels au lecteur.

Une diversité d’approches pour rendre compte de la vie quotidienne en temps de guerre

Sept auteurs différents se partagent l’écriture du livre, tous des professeurs associés, professeurs ou chercheurs, spécialistes dans les domaines et pays abordés par l’ouvrage. Cela apporte une grande diversité dans l’écriture et dans les approches privilégiées dans chaque chapitre. Des éléments communs dans la structure des chapitres peuvent être relevés. Il y a toujours un point de contextualisation sur le conflit en introduction de chapitre. Le plus souvent, il y a une description de la vie des civils par la ville (en termes spatiaux), même si on a parfois quelques éléments sur la vie dans les campagnes comme c’est le cas dans le premier chapitre sur la Chine durant la rébellion des Taiping ou dans le chapitre sur le Japon en guerre de 1937 à 1945.

Les chapitres sont structurés en parties (excepté pour le dernier qui porte sur le Vietnam, relevant plus du témoignage direct) mais n’abordent pas toujours les mêmes thèmes. Le chapitre peut être organisé par thèmes sociétaux (comme le premier sur le Japon de Meiji), autour d’un lieu (comme le Teahouse dans le chapitre sur la Chine urbaine en temps de guerre), par catégories de personnes, par des éléments culturels. Le chapitre sur la Corée se structure autour de trois villes : Séoul, Pusan et Pyongyang. Certains thèmes sont récurrents comme les conditions de vie de certaines catégories de la population (enfants, étudiants, femmes), l’impact de la guerre sur les éléments de base de la vie quotidienne comme la nourriture ou l’habillement, le rapport aux forces d’occupation quand il existe.

Des similarités dans le quotidien des civils en temps de guerre ?

On ne peut pas généraliser ce qui se déroule dans chacun des conflits mais on peut noter certaines similarités. La rhétorique de la “vie à la normale” est un concept qui ressort de cet ouvrage : malgré la guerre, les gens essaient de vivre normalement. Emergent alors des formes de résilience permettant aux populations de survivre (se nourrir, gagner de l’argent). Dans les attaques contre les villes, on observe également des similarités : la ville est prise par l’ennemi, parfois avec l’aide des habitants comme dans la Chine des Taiping (ou leur indifférence dans le cas de Séoul par exemple), elle est reprise et on assiste à des destructions massives puis à une repopulation tardive. Cela nous amène à la notion de « villes fantômes » (ghost cities) comme c’était le cas également de Phnom Penh qui n’est pas évoqué dans l’ouvrage.2. Le déplacement des populations est également un arc qu’on retrouve dans plusieurs des conflits évoqués. Ils entraînent en effet un nombre important de réfugiés, ce qui provoque une pression sur les ressources vivrières. C’est une conséquence connue de la guerre. Les questions des maladies et des conditions de la vie quotidienne pendant la guerre en fonction du climat pourraient être davantage abordées mais on sent que c’est également un point commun à considérer. Il ressort également de ces chapitres une importante routinisation de la violence sur ces civils.

En effet, dans les conflits étudiés, les civils sont les plus grandes victimes (bombardement, invasion / destruction, occupation / répression, mise à contribution forcée, déplacement de population…). Pour les auteurs, il y a une fracture avec les conflits antérieurs dans lesquels les forces armées étaient les plus touchées.

Guerre du Viêt-Nam, familles sur la route de Tan An, 1966-1967 © Tom Jackson (sur Manh Hai)

Comment restituer l’histoire quotidienne ?

L’ouvrage n’est pas exempt de points critiquables. On peut regretter le peu d’information sur la méthode, l’approche analytique de chacun des auteurs (en début de chapitre par exemple) bien qu’il faille noter la présence de notes et de bibliographies à chaque fin de chapitre. Il y a peu de citations directes dans la plupart des articles et peu d’explications sur les sources utilisées précisément. Il est difficile de savoir si les auteurs se basent sur des archives ou des témoignages. Cela est sûrement dû au fait que le livre s’adresse à un public large mais, dans le cadre académique, cette absence de précisions se révèle dérangeante. Certains chapitres gagneraient à être plus illustrés, avec des cartes pour la ville de Manille par exemple, ou avec davantage de photos comme pour le Vietnam. Un chapitre sur le conflit civil au Cambodge aurait apporté un autre point de vue intéressant. 

L’ouvrage reste facile à lire puisque chronologique. Même sans bien connaître les conflits, on peut aisément suivre les événements et se rendre compte de l’impact de la guerre sur les vies quotidiennes des civils, ce qui est l’objectif principal du livre. Les différentes approches apportent un point de vue varié très intéressant, diversifiant la lecture et la rendant fluide. Il faut noter également que les chapitres sont parfois très détaillés, ce qui nous apporte une vraie information sur la vie de ces civils, de manière très large : hommes, femmes, enfants, personnes âgés, prisonniers, étrangers… La restitution de ces vies en temps de guerre reste le point fort de cet ouvrage.*

* * *

Un travail de mémoire essentiel

Bien que les auteurs abordent quelques éléments politiques, ils ne forment pas du tout le cœur de l’ouvrage. Celui-ci est tourné vers le récit de la vie quotidienne des civils en temps de guerre. Cette histoire se double ainsi d’un travail de mémoire,permettant aux lecteurs d’avoir accès au point de vue des gens ordinaires, et finalement à l’autre côté de la guerre, pas seulement celui des élites, des dirigeants ou des combattants. Ce n’est évidemment pas un travail facile, en fonction des sources disponibles, notamment pour certains pays qui sont encore assez fermés sur le sujet. On note alors une difficulté de la micro-histoire : Comment généraliser la vie d’une population ou le point de vue des individus à partir d’un seul témoignage comme dans le cas du chapitre sur le Vietnam ? C’est là un des enjeux du travail des historiens.

Gwendolène Chambon, promotion ASIOC 2018-2019.

Gwendolène Chambon est étudiante en Master 2 Asie Orientale Contemporaine à l’ENS de Lyon. Elle s’est spécialisée sur la Chine populaire et s’intéresse en particulier aux enjeux de la relation entre ce pays et l’Union européenne. Elle effectue actuellement une mobilité académique à Shanghai.

Image “à la une” : Photo de Nick Ut, New York Times © DR

Notes

  1. Notons qu’une guerre civile prolongée se déroule dans l’ancien Vietnam entre les seigneuries Trinh et Nguyen, 1627-1672 ; 1774-1775
  2. Rappelons que la ville fut vidée de ses habitants à l’arrivée des Khmers rouges à partir du 17 avril 1975

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